Если душа родилась крылатой - Марина Цветаева
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Bellevue, 7 февраля 1927
Marina Tsvetaïeva
«Si l'ame est nee avec des ailes...»
Ce sera ainsi
Enfant tranquille, dorloteґ par les teґne`bres,Une langueur infinie dans un regard perdu,Tu es la` immobile devant la fene tre. Un pasRapide, dans le corridor — ce n’est pas le mien!La porte s’ouvre... Un courant d’air glacial...Une odeur: la fracheur, le bonheur... Finies les angoisses...Puis un instant de silence et quelqu’un, doucement,Rit, sur le seuil de la porte — ce n’est pas moi!Le tramway, son ombre, comme jadis, court sur le mur,L’orchestre, en bas, se fait plus calme, plus sourd...Emu, tu chuchotes: — Que nos a mes s’unissentEn silence! — ce n’est pas avec moi!Que de livres! Et j’ai pense ґ ... Pas de lumie ` re:C’est mieux!.. Les mots me manquent...Le tramway, son ombre voit bien que,Sur le divan, avec toi — ce n’est pas moi!Mes poe`mes, eґcrits si to t, — je ne savaisMe me pas — moi — que j’eґtais poe`te, —Venus, comme l’eau de la fontaine,D’un coup, comme les eґclats d’une fuseґe.Petits diables jaillis d’un seul coup,Dans le sanctuaire ou` tout est re ve, encens,Mes poe`mes, la jeunesse et la mort,— Ces poe`mes qu’on n’a pas lus! —Disperseґs dans la poussie`re des librairies(Ou` personne ne les prenait, ou` personneNe les prend!) — mes poe`mes serontComme des vins preґcieux: leur tour viendra.Je ne reґfleґchis pas. Je ne me plains pas.Je ne discute pas.Je ne dors pas.Je n’ai de gou t niPour le soleil, niPour la lune, ni pour la mer,Ni pour le bateau.Je ne sens pas la chaleur entre ces murs,Ni la fracheur du jardin.Je n’attends pas le cadeau attendu,Depuis longtemps deґsireґ.Le matin ne me plat pas; niLa marche rythmeґe du tramway.Je ne vois pas le jour. J’oublieLa date. J’oublie le sie`cle.La corde s’effiloche, semble-t-il,Et moi, je ne suis qu’un petit funambule,Et moi, ombre de l’ombre d’un autre.Somnambule aux deux lunes sombres.
Grand-mere
L’ovale seґve`re et allongeґ,La robe noire eґvaseґe... JeuneGrand-me`re! De qui, les baisersSur vos le`vres arrogantes?Les mains jouaient des valsesDe Chopin, dans les salles du palais...Les boucles en spiralesEntouraient le visage de glace.Le regard sombre, tendu, exigeant,Un regard sur la deґfensive.De jeunes femmes n’ont pas ce regard-la`.Jeune grand-me`re, qui e tes-vous?Jeune polonaise de vingt ans! —Combien de choses reґaliseґesAvez-vous emporteґes et combien d’impossiblesDans le gouffre inassouvi de la terre?Le vent eґtait frais, le jour innocent,Les eґtoiles noires venaient de s’eґteindre.— Grand-me`re! — Cette violente reґvolteDans mon cur — est-ce de vous que je la tiens?Je veux le demander au miroir:Ou` donc tout n’est-il que brouillard,Sommeil brumeux —Ou` votre chemin,Ou` votre refuge?Je vois: les mats d’un bateau,Et vous sur le pont... Vous —Dans la fumeґe des trains... Des champsPris dans la plainte du soir.Les champs le soir sous la roseґe,Et au-dessus — des corbeaux...— Je vous beґnis et vous laisseLibre comme l’air.— Il me plat que vous ne soyez pas fou de moi,Il me plat de ne pas e tre folle de vous,Et que jamais le lourd globe terrestreNe fuie au-dessous de nos pieds.Il me plat de pouvoir e tre ridicule —Troubleґe — et de ne pas jouer sur les mots,Et de ne pas souffrir d’une faiblesse eґtouffanteLorsque nos deux manches se frolent.Il me plat aussi que devant moiTranquillement vous enlaciez une autre,Et que vous ne me souhaitiez pas les feuxDe l’enfer parce que moi j’en embrasse un autre.Que vous ne prononciez pas mon nom, si tendre,Vous, mon tendre ami, matin et soir — a` la leґge`re...Que jamais, dans le silence de l eґglise,On ne chante, par-dessus nos te tes: Alleґluia!Je vous remercie de tout mon cur, et de mes mainsDe tant m’aimer — sans le savoir vous-me me! —Et pour la tranquilliteґ de mes nuits,Pour la rareteґ des rencontres aux heures du soir,Pour les promenades au clair de luneQue nous n’avons pas faites, et pour le soleil,Qui ne brille pas au-dessus de nous — etJe vous remercie de ne pas e tre — heґlas! — fou de moi,Et de ne pas e tre — heґlas! — folle de vous!Le navire ne naviguera pas toujoursEt le chant du rossignol...J’ai si souvent voulu vivreEt si souvent — mourir!Fatigueґe de la loterie, commeDans mon enfance, — je quitterai le jeu,Heureuse de ne pas croireQu’il y a d’autres mondes.Avec une grande tendresse — car,Biento t, je vais tout laisser —Je pense a` celui qui porteraCette veste de loup,A celui — qui se preґlassera sous ce plaid,Avec cette fine canne a` te te de leґvrier,A celui — qui portera mon braceletD’argent orneґ de turquoises...A tous ces papiers, a` toutes ces fleursQue je ne peux pas — conserver...Ma dernie`re rime — et toi,Ma dernie`re nuit.Je n’ai pas communieґ, je n’ai pas suivi la Loi.Jusqu’a` la fin, et la messe dernie`re, je peґcherai —Comme aujourd’hui je pe`che, comme hier j’ai peґcheґ,Avec passion! De tous les sens que Dieu m’a donneґs!Amis! Complices! Vous qui m’exhortez a` la flamme!Vous, accuseґs comme moi! Vous deґlicats professeurs!Filles et jeunes gens, arbres, eґtoiles, nueґes, Terre —Au jugement dernier, tous devant Dieu nous passerons.Il n’y a pas, dans ce mauditVolume, de tentationPour une femme. — Ars amandi,Pour une femme — toute la terre.Le cur — des philtres d’amour,Le philtre — le plus su r. — Une femme,De`s son berceau est un peґcheґ mortel,Pour l’un ou pour l’autre.Le ciel est loin! Les le`vresSont proches, dans la brume...— Dieu, ne juge pas! Tu n’eґtais pasUne femme, sur terre!Je connais la veґriteґ! Assez des veґriteґs anciennes!L’homme sur terre ne doit pas contrer l’homme!Voyez: le soir, voyez: deґja` presque la nuit!Et quoi encore: des poe`tes, des amants, des capitaines?Deґja` — le vent s’eґpuise, deґja` — la roseґe sur la terre,Biento t — deґja` — la neige durcira dans le ciel eґtoileґ,Et — biento t — tous, sous terre nous dormirons: car,Sur terre, tous, nous nous empe chions de dormir.Une fleur eґpingleґe a` la poitrine.Je ne sais deґja` plus qui l’a eґpingleґe.Inassouvie, ma soif de passion,De tristesse et de mort.Par le violoncelle et par les portesQui grincent, par les verres qui tintentEt le cliquetis desDes trains du soir,Par le coup de fusil de chasseEt par le grelot des troїkas —Vous m’appelez, vous m’appelez,Vous — que je n’aime pas!Mais il est encore une joie:J’attends celui qui, le premier,Me comprendra, comme il le faut —Et tirera a` bout portant.J’ai ouvert le coffret de meґtal,J’ai pris ce cadeau — des larmes:Un anneau avec une perle superbe,Avec une superbe perle.Je suis sortie sur le seuil, un vrai chat,J’ai exposeґ mon visage au vent.Les vents — qui soufflent, les oiseaux — qui volent,Les cygnes — a` gauche, a` droite — les corbeaux,Nos chemins — par des co teґs diffeґrents.Tu t’eґloigneras — avec les premiers nuages, avec l’orage,Et ton chemin — dans l’eґpaisse fore t, sur les sables bru lants.Ton a me — s’eґpuisera,Tes yeux — pleureront.Mais au-dessus de moi — la chouette criera.Mais au-dessus de moi — l’herbe bruissera.Nous n’avons jamais eґteґ ensemble: c’est douxPour moi. — Personne ainsi n’a rien repris.Je vous embrasse, par-dela` les centainesDes verstes qui nous seґparent.Je sais: nos dons sont dissemblables.Ma voix, pour la premie`re foix, est basse.Que vous importe, jeune Derjavine,Mon vers mal eґleveґ! —Pour le terrible vol, je te salue:— Vole, jeune aigle, vole! —Tu supportes le soleil dans les yeux, —Mon jeune regard est-il si lourd?Personne ne vous regardait partirPlus tendrement, plus deґfinitivement...Je vous embrasse, par-dela` les centainesDes verstes qui nous seґparent.Tu le`ves la te te trop haut —Un orgueilleux, un menteur.C’est, pour moi, en ce feґvrier,Un joyeux compagnon!Nous faisons sonner l’argent, nousFaisons lentement des ronds de fumeґe,Nous marchons dans notre ville nataleComme de solennels eґtrangers.Quelles mains soigneuses ont toucheґTes cils, cette beauteґ, — quand, etComment, et qui, celles, nombreuses,Qui ont embrasseґ ta bouche — ,Je ne le demande pas. Mon esprit avideMatrise ce re ve. En toi,J’honore un enfantDivin de dix ans.Arre tons-nous pre`s de la rivie`re qui rinceLe collier multicolore des lanternes.J’irai avec toi jusqu’a` la placeQui a vu des tzars adolescents...Siffle pour eґvacuer le mal des jeunesGarc ons, et serre ton cur dans ta paume...— Mon affranchi impassibleEt violent — Pardon.D’ou` vient cette tendresse?Ce ne sont pas les premie`resBoucles — que je lisse — etJ’ai connu des le`vres plus sombres.Les eґtoiles s’allument et s’eґteignent,— D’ou` vient cette tendresse? —Des yeux s’allument et s’eґteignent,Tout pre`s de mes yeux.J’ai entendu des chantsAutres, dans la nuit noire,— D’ou` vient cette tendresse? —Sur la poitrine me me du chanteur.D’ou` vient cette tendresse? —Et qu’en faire, adolescentMalicieux, chanteur vagabond,Aux cils — les plus longs.
Poemes pour Blok
1Ton nom — un oiseau dans la main,Un glac on sur la langue — ton nom,Un seul mouvement des le`vres,Ton nom — quatre lettres.Un petit ballon, saisi au vol,Un grelot d’argent dans la bouche.Il jaillit dans un sanglot, ton nom,Et d’une pierre jeteґe dans un eґtang.Il brille, il gronde, la nuit, ton nomDans un leґger cliquetis de sabots.Et le claquement sonore du fusilLe soulignera sur notre tempe.Ton nom — Ah, l’impossible! —Un baiser sur les уeux, ton nom,Sur le gel tendre des paupie`res immobiles.Ton nom — un baiser sur la neige,Une glaciale gorgeґe bleue — a` la source...Avec ton nom, le sommeil est profond.
2Tendre fanto me,Chevalier sans reproches,Qui t’a appeleґDans ma jeune vie?Dans la brume bleue,Debout, en chasubleDe neige.Ce n’est pas le vent, quiMe poursuit a` travers la ville,Cela fait trois soirs, deґja`,Que je sens l’ennemi.Il m’a envou teґe,Le chantre de neigeAux yeux bleus.Et le cygne de neige eґtendSes ailes sous mes pieds.Les plumes s’eґtalent etS’alte`rent sur la neige.J’avance sur les plumes,Ainsi, vers la porte,Et, au-dela`, la mort.Par les fene tres bleues,Il chante pour moi,Il chante pour moi,De ses lointains grelots.Et son appel:Un long cri, puisLa voix du cygne.Tendre fanto me!Je sais, je vois tout en re ves.Fais-moi cette gra ce: amen,Amen, tombe en poussie`re!Amen.
3Tu passes a` l’ouest du soleil,Tu vois la lumie`re du soir,Tu passes a` l’ouest du soleil,Et la neige en rafale couvre tes pas.Devant mes fene tres, indiffeґrent —Tu passeras, dans le silence et la neige,Mon homme de Dieu, juste et magnifique,Douce lumie`re de mon a me.Je ne convoite pas ton a me!Ton chemin reste a` l’eґcart.Et je n’enfoncerai pas mon clouDans ta main, pa le de baisers.Je ne t’appelerai pas par ton nom,Je ne te tendrai pas les bras,Je m’inclinerai, de loin,Devant la Sainte face de cireEt sous la neige lente, dans la neige,Je me mettrai a` genoux, et,En ton nom sacreґ,J’embrasserai la neige du soir.La`, ou`, majestueusement,Tu es passeґ, dans un silence de mort,Douce lumie`re, — gloire des saints —Dans la possession de mon a me.
4Pour l’animal — sa tanie`re,Pour le voyageur — son chemin,Pour le mort — son corbillard,Pour chacun — son du .Aux femmes — la ruse,Au tzar — l’eґtat,A moi — la glorificationDe ton nom.
5Chez moi a` Moscou — brillent les coupoles,Chez moi a` Moscou — les cloches sonnent,Et les seґpultures, chez moi, sont aligneґes, —Y dorment les tzarines et les tzars.Tu ne sais pas, toi, qu’a` l’aube, au Kremlin,On respire plus a` l’aise — que partout ailleurs!Tu ne sais pas, toi, qu’a` l’aube, au Kremlin,Et jusqu’a` l’aube, je te prie comme un dieu.Et tu passes au-dessus de la Neva,Au moment ou`, au-dessus de la Moscova,Je me tiens te te baisseґe,Et les reґverbe`res tombent de sommeil.De toute mon insomnie je t’aime,De toute mon insomnie je t’eґcoute —Lorsque partout dans le KremlinS’eґveillent les carillonneurs.Mais mon fleuve — avec ton fleuve,Mais ma main — avec ta mainNe se rencontrent pas, o ma Joie,Tant que l’aube n’a pas rejoint l’aube nouvelle.
6On pensait — un homme!On l’a fait mourir.Il est mort. A jamais.— Pleurez sur l’ange mort!A la fin du jour,Il chantait la beauteґ du soir.Trois flammes de cireTressaillent, superstitieusement.Des rayons eґmanaient de lui —Cordes bru lantes sur la neige.Et trois cierges de cire — etLe tout au soleil! Au porteur de lumie`re!O, regardez — comment les sombresPaupie`res se sont enfonceґes!O, regardez — commentSes ailes se sont briseґes!Le reґcitant noir reґcite,Les gens oisifs fla nent...— Le chantre mort reposeEt ceґle`bre la reґsurrection.
7Probablement — derrie`re ce petit boisLe village, ou` je vivais.Probablement — l’amour est plus simple,Il est plus facile, que je ne croyais.Oheґ! — Les diables, crevez donc!Il s’est souleveґ, il a leveґ — le fouet —Et, apre`s l’injure — le coup, cinglant,Et, de nouveau, les grelots chantent.Au-dessus des bleґs faiblissants, miseґrables,La perche se dresse — et apre`s elle une autre perche,Et le fil de fer haut dans le ciel chante,Et il chante la mort.
8Et une nueґe de mouches autour de haridelles indiffeґrentes,Et le cher andrinople de Kalouga gonfleґ par le vent,Et le cri des cailles, et le grand ciel, etLe flot des choches par-dessus le flot des bleґs,Et les parlotes: les Allemands, — c’est assez mais jusqu’ou`! —Et la croix tre`s jaune derrie`re le petit bois bleu,Et la douce chaleur, et un tel eґclat en tout,Et ton nom, qui sonne comme: Ange.
9Faible rayon dans les teґne`bres noires de l’enfer —Ta voix dans le grondement et l’explosion des obus.Et la`, dans le tonnerre, comme un quelconqueSeґraphin, elle annonce, cette voix sourde,— On ne sait de quels anciens matins brumeux —Combien il nous a aimeґs, nous, aveugles et anonymes,Et le manteau bleu, et le peґcheґ — de perfidie... EtCombien — plus tendrement — plus fortement encore —Combien il n’a cesseґ de t’aimer, Russie, disparueA jamais dans la nuit — pour de tristes histoires!Et ses doigts glissent — le long de ses tempes —Ils semblent interroger — d’un geste perdu —:Les jours nous attendent, et la tromperie de Dieu,Et quel nom a` venir pour un soleil qui ne se le`vera plus...Ainsi, prisonnier en tete-a`-tete avec lui-meme,(Ou bien cet enfant qui parle en revant)Nous est apparu sur toute la vaste plaine —Le cur sacreґ d’Alexandre Blok.
10Il regarde, la`, fatigueґ des lointains,Chef sans partisans,La` — et l’eau du torrent dans le creux de sa main —Prince sans terres.La` — ou`, pourtant, tout: possessions et soldats,Et pain, et me`re.Ton hеґritage est beau, — dispose de lui,Ami sans amis!
12Vous, ses amis, — ne le deґrangez pas!Vous, serviteurs, — ne le deґrangez pas!On le voyait sur son visage:Mon royaume n’est pas de ce monde.Fatales, les neiges en rafales au long de ses veinesEt les eґpaules se courbaient sous le poids des ailes,Et par la bouche et par le chant, dans l’ardeur quidesse`che,Il a laisseґ son a me s’envoler comme un cygne.Tombez, tombez donc, lourds ornements!Les ailes connaissaient leur pouvoir: voler!Et les le`vres, qui reґpeґtaient ce mot: reґponds!Mourir n’existe pas, je le sais!Il boit l’aurore, il boit la mer, — a` sa soif,Il festoie. — Et pas d’offices pour les morts!Car celui qui pour toujours a dit: il faut e tre!Aura du pain assez pour le nourrir.
13Au-dessus de la plaine —Le chant du cygne.Me`re, n’as-tu pas reconnu ton fils?Lui — de tre`s loin — au-dela` des nuages,Lui, — et son dernier pardon.Au-dessus de la plaine,La neige fatale, en tourbillons.Jeune fille, n’as-tu pas reconnu ton ami?Chasuble deґchireґe, ailes en sang...Lui, et son dernier mot: — Vis!Au-dessus de cette maudite...L’envol aureґoleґ. Le justeS’empare d’une a me: hosanna!Le forc at trouve — une couchette — la chaleur.Et le fils adoptif la maison d’une me`re. — Amen.
14Pas une co te casseґe —Une aile briseґe.Pas la poitrine traverseґeDes fusilleґs. Cette balleNe peut s’extraire. Les ailes sontIrreґparables. Il vivait mutileґ.Tenace, elle est tenace la couronne d’eґpines!Qu’importe au deґfunt — l’eґmotion de la masse,Et le duvet de cygne des flatteries feґminines...Lui, il passait, solitaire, sourd,Il figeait les couchers de soleil,Absent, comme une statue sans regard.Une seule chose vivait encore en lui:Une aile briseґe.
15Sans cri, sans appel: un couvreurQui tombe d’un toit. — Mais,Peut-e tre es-tu revenu, —Peut-e tre, coucheґ dans un berceau?Tu bru les et ne te consumes pas,Flambeau, pour peu de temps...Laquelle parmi les mortellesTe berce, en ton berceau?Fardeau bien-heureux!Roseau propheґtique!Qui donc me diraDans quel berceau?«Pas vendu, pour l’instant!»Je ferai seulement, avec, en moi,Cette jalousie, un vaste mondeSur la terre de Russie.Je traverserai d’un boutA l’autre les terres de minuit.Ou` est sa bouche — sa blessure — ,Ou` sont le plomb, le bleu de ses yeux?Le saisir! Toujours plus fort!L’aimer, n’aimer que lui!Qui me dira tout basEn quel berceau tu es?Des perles, une a` une, et l’ombre,Mousseline endormie. OmbreD’une couronne aiguiseґe,D’eґpines, pas de laurier.Pas un rideau, un oiseauQui deґplie ses ailes blanches!— Et natre a` nouveauPour qu’a` nouveau la neige te couvre?L’attirer plus fort! Le tenirPlus haut! Ne garder que lui!Qui me souffleraEn quel berceau tu es?Mon exploit est peut-e tre faux,Et mes efforts — vains.Tu vas peut-e tre dormir,Comme en terre, jusqu’au dernier chant.Je vois a` nouveau — le creuxProfond de tes tempes.Aucune musique ne pourraEffacer une telle fatigue.La souveraine pature,Le silence sur, rouilleґ.Le gardien me montreraLe berceau.
16Comme endormi, comme ivre,Au deґpourvu, sans preґparation,Creux des tempes:Conscience aux aguets.Orbites transparentes:Mort et clarteґ.Vitre transparenteDu re veur, du voyant.N’est-ce pas toiQui n’as pas supporteґLe son de sa robe bruyanteDe retour au pays de chez Hade`sN’est-ce pas cette te teQui flottait, pleine de cliquetisArgentins, le longDe l’He`bre endormi?
17Rec ois, mon Dieu, rec ois mon obolePour la soliditeґ du temple. Je ne chantePas l’arbitraire de mon amour, je chanteLa blessure de ma patrie...Non le coffre rouilleґ de l’avare —Ni le granit — useґ par les genoux!Mais, pour tous: le heґros et le tzar,Pour tous — un juste — un chantre — la mort.Le Dniepr brise la glace et la RussieCoule vers toi, comme Pa ques. —Et bouscule les planches du cercueilDans une grande crue de mille voix.Pleure ainsi mon cur, et chante la gloire!Et que l’amour mortel soit jalouxDe tes cris — pour quelle autre millie`me fois? —Car cet amour-la` se reґjouit de ton chant.J’aime embrasserLes mains, et j’aimeDonner des noms,Et aussi — ouvrirDes portes!— Grandes-ouvertes — sur la nuit noire!Et me tenir la te te,Ecouter ce pas, lourd,Quelque part, qui devient leґger,Et le vent, qui secoueLa somnolante, l’insomniaqueFore t.Et la nuit!Quelque part, des sources coulent,Le sommeil me gagne.Je dors presque.Quelque part, un homme,Dans la nuit, s’enfonce.Dans ma tre`s grande ville — la nuit.Je quitte — la maison endormie.Les gens pensent: une femme, une fille, —Mon seul souvenir: — la nuit — .Le vent de juillet me pousse — en chemin,Et la` une musique par la fene tre — un rien.Le vent, aujourd’hui, jusqu’a` l’aube — souffleraAu travers de la poitrine — dans la poitrine.Un peuple noir, et, par la fene tre — une lumie`re,Et le carillon de la tour, et dans la main — une fleur,Et ce pas-la` n’embote le pas de personne,Et cette ombre-la` — n’est pas la mienne.Les feux de la feuille nocturne dans la bouche,Comme les chanes des colliers en or — le gou t!Deґlivrez-moi des liens diurnes, amis,Comprenez, je ne suis pour vous qu’un re ve.Noire comme la pupille, comme la pupille tu sucesLa lumie`re — et je t’aime, nuit — qui vois si bien.Laisse ma voix te chanter, aїeule des chants,Qui tiens la bride des quatre vents. Je t’appelle,Je chante tes louanges et ne suis qu’un coquillageQue la voix de l’oceґan n’a pas encore deґserteґ.J’ai deґja` trop regardeґ dans la pupille des hommes!Nuit! Reґduis-moi en cendres, soleil noir, — nuit!Qui dort, la nuit? Personne ne dort!L’enfant, dans son berceau, crie,Le vieillard veille a` sa propre mort,Et le jeune garc on parle a` sa jolie;Il souffle sur ses le`vres,Il la regarde dans les yeux.Si tu t’endormais, ou` serais-tu, a` ton reґveil?Nous aurons, nous aurons bien le temps de dormir!Le garde au regard vigilant passeDe maison en maison, avec sa lanterne rose.Et, sur l’oreiller, ce qui, par morceaux, gronde,Agite sa bruyante creґcelle: — ne dors pas —Tiens bon! J’insiste! Sinon — l’eґternelSommeil! — Sinon — la maison eґternelle.Voici — de nouveau — une fene tre,Ou` — de nouveau — on ne dort pas.On y boit du vin — peut-e tre —,On n’y fait rien — peut-e tre —.Ou alors, tout simplement,Deux mains ne peuvent se seґparer.Il y a, dans chaque maison,Ami, une fene tre pareille.Le cri des seґparations, des rencontres —Toi, fene tre dans la nuit!Des centaines de bougies — peut-e tre —,Trois bougies — peut-e tre... —Pas cela, et pas de reposPour mon esprit.Et cela — cette chose me me —Dans ma maison.Prie, mon ami, pour la maison sans sommeil,Pour la fene tre eґclaireґe!
Poemes pour Akhmatova