Том 11. Былое и думы. Часть 6-8 - Александр Герцен
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Art. 1. Nul membre de la communauté ne peut jouir que de ce que la loi lui donne par la tradition réelle du magistrat.
Art. 2. La communauté nationale assure à chacun de ses membres:
Un logement sain – proprement meublé.
Des habillements de travail et de repos.
Le blanchissage, l’éclairage et le chauffage.
Une quantité suffisante d’aliments en pain, viande, volaille, poisson, œufs, beurre… et autres objets dont la réunion constitue une médiocre et frugale aisance.
Art. 3. Il y aura dans chaque commune des repas communs auxquels tous les membres seront tenus d’assister.
Art. 5. Tout membre qui reçoit un salaire ou conserve de la monnaie est puni.
Décret du commerce
Art. 1. Tout commerce particulier avec les peuples étrangers est défendu.
Le commerce se fera administrativement. Après cela – «la dette nationale est éteinte, la République ne fabrique plus de monnaie, l’or et l’argent ne seront plus introduits, les dettes de tout Français – envers un autre Français sont éteintes. Et – pour la bonne bouche – toute fronde à cet égard est punie de l’esclavage perpétuel».
Vous pensez peut-être que ces décrets sont signés par Pierre Ier et contresignés par le comte Araktchéieff. – Non, ce n’est pas Pierre Ier qui les a signés à Sarskoïé Sélo, mais le рrеmier socialiste de France – Gracchus Babeuf
Cela serait injuste que de se plaindre qu’il n’y a pas assez de gouvernement dans ce communisme – on a soins de tout, on surveille tout, on gouverne tout. Même la reproduction des animaux domestiques n’est pas abandonnée à leur faiblesse et à leur coquetterie – mais réglée par des magistrats.
Et pourquoi pensez-vous tout cela se fera? Pourquoi les membres de la communauté seront-ils «nourris, habillés et amusés», pourquoi est-ce qu’on donnera à ces galériens du bonheur commun, à ces bataillons disciplinaires de l’égalité, à ces serfs Rei publica ad scripti – les poulets et les poissons…? Vous pensez pour eux-mêmes,pour leur propre bonheur – pas du tout… leur état sera d’après le décret assez médiocre – «La République seule sera riche, toute-puissante… splendide…»
Cela me rappelle l’image miraculeuse de la madone d’Ibérie à Moscou – elle a tout, des perles et des diamants, une voiture et des chevaux, des prêtres et des laquais… et la seule chose qui lui manque – c'est elle-même,elle possède tout cela in effigie.
…Après des siècles… lorsque tout se changera, il suffira d’avoir l’empreinte de ces deux dents molaires – pour restaurer jusqu’au dernier petit osselet les fossiles de l’Angleterre et de la France de nos temps d’autant plus facilement que les deux mastodontes du socialisme appartenaient au bout du compte à la même famille et avaient le même but.
Ils sortent d’une série d’idées très analogues. L’un voyait que nonobstant la République et le 21 janvier, l’anéantissement des fédéralistes et la terreur – le peuple ne gagnait pas beaucoup. L’autre voyait que nonobstant le développement colossal des machines et des capitaux, une productivité prodigieuse – «l’old merry England» devenait de plus en plus triste, et l’Angleterre vorace et gloutonne – de plus en plus l’Angleterre affamée. Ces considérations amenèrent l’un et l’autre à la nécessité d’un changement radical de toutes les conditions de la vie économique et politique de la société contemporaine.
R. Owen et Babeuf appartiennent à une époque dans laquelle les contradictions de la vie sociale devinrent plus grillées et plus manifestes, l’absurdité des institutions – plus évidente. Les maux n’empirent pas – cela serait une exagération, le développement inégal des éléments qui constitue l’existence sociale anéantit la harmonie qui existait avant, les circonstances étant moins bonnes et mieux équilibrées.
Mais ce n’est que sur ce premier pas qu’ils sont d’accord…une fois en chemin l’un va à droite, l’autre à gauche.
R. Owen voit dans le fait même qu’on s’en ait aperçu – le dernier succès, l’achèvement de l’histoire, la grande acquisition gagnée par le chemin douloureux des siècles, il salue la tendance d’en sortir comme l’aurore d’un nouveau jour – qui n'a jamais été – et n’était jamais possible – car l’intelligence n’était jamais à la hauteur de cette question.
La constitution de 1793 ne l’entendait pas ainsi – ni Babeuf non plus. Elle décrétait la réintégration – des droits naturels oubliéset perdus,elle rentrait dans une possession légitime – l’Etat actuel n’étant qu’un fruit illégitime de l’usurpation, venue à la suite d’une conspiration tramée par les tyrans et les riches. Le temps est venu de châtier les ennemis du peuple, et restituer les biens détenus par eux au seul souverain légitime qui manque de tout et qu’on appelle à cause de cela – sans culotte. Il faut le réintégrer dans ses droits perdus.
– Mais quand est-ce qu’il les possédait et pourquoi est-ce qu’on lui donne le nom de souverain – et quel droit a-t-il sur les biens des traîtres à la patrie?
– Vous doutez, vous n’avez pas de civisme, vous êtes suspects – prenez garde à vous – on peut appeler le premier souverain de la rue… Il vous mènera chez le citoyen juge et le citoyen bourreau – et vous ne douterez plus de rien.
…La pratique de l’opérateur Babeuf ne pouvait gâter la pratique de l’accoucheur R. Owen.
Babeuf voulait détruire par la force ce qui était imposé par la violence, anéantir une œuvre inique. Pour faire sauter le vieil édifice, il fit une conspiration, et si elle était parvenue à avoir le dessus, le «comité insurrecteur» aurait imposé à la France sa république égalitaire – comme les Turcs ont imposé à Byzance leur monarchie islamique. L’esclavage – que nous avons vu dans les décrets – aurait fait naître une opposition acharnée, – qui aurait fini par une nouvelle insurrection et la République égalitaire succomberait en léguant à l’humanité une grande idée et une forme absurde – une idée – qui n’est que sous les cendres et quoique à peine visible – trouble la quiétude des satisfaits.
R. Owen ne voulait que soulager et accélérer le développement – par lequel la société passait d’un état à un autre; il commença ses études avec une grande conséquence – par une cellule, par un cas particulier, comme un naturaliste. New Lanark était son laboratoire, son microscope… il agrandissait ses vues avec la connaissance de la cellule et parvint à la conclusion – que saufquelques palliatifs le seul moyen était l'éducation.
Une conspiration était inutile pour Owen, une insurrection – pernicieuse. Il pouvait tolérer tout gouvernement – non seulement le meilleur gouvernement du monde – le gouvernement anglais – il voyait dans les formes usées du pouvoir un résultat historique, une décrépitude, une agonie lourde, longue mais non un crime prémédité, à ses yeux l’autorité était entre les mains des hommes arriérés – mais non d’une bande de brigands et de malfaiteurs. Il ne voulait ni terminer d’une manière violente le vieil ordre des choses gouvernemental – mais il ne voulait non plus le corriger ou l’améliorer. Si les saints boutiquiers ne lui auraient mis des bâtons dans les roues – nous aurions maintenant un réseau de N. Lanark et de N. Harmony en Angleterre et aux Etats-Unis. La sève saine de la population – s’y serait de plus en plus portée – en sevrant les hauts parages – il pouvait laisser les agonisants à leur mort naturelle – connaissant très bien que chaque enfant qu’on apportait dans les écoles à la N. Lanark – était autant de pris sur l’église et le pouvoir[730].
Plus loin.
Babeuf et R. Owen se rencontrent encore une fois dans leur insuccès, quoique leur sort tragique porte le cachet du même contraste que nous avons signalé.
Babeuf était guillotiné. Le monstre omnivore, allaité dans les tombes, où l’on avait jeté pêle-mêle les cadavres des Césars païens et des rois très catholiques, des prêtres et des chevaliers, – grandissait. L’individu – pâlit devant lui, s’effaça et disparut. Jamais sur le sol de l’Europe depuis les trente tyrans d’Athènes – jusqu’à la guerre de trente ans, et de là jusqu’à la révolution – l’homme n’a été si entièrement enlacé dans les filets de la police gouvernementale – si entièrement livré à l’administration qu’il ne l’а été par la centralisation.
R. Owen fut peu à peu pris par les eaux troubles et marécageuses – il se remuait autant <…>[731]
<Chapitre> VQui donc gagnait lorsque les deux perdaient?
Vers le temps dans lequel les têtes de Babeuf et Dorthès tombaient dans le sac des bourreaux, et R. Owen demeurait avec un autre génie méconnu – plus pauvre encore que lui-même – Fulton, auquel il donnait son dernier argent – pour faire des modèles de machines par lesquelles le petit gnome pensait enrichir l’humanité, – vers ce temps un jeune officier montrait à des dames de sa connaissance sa batterie – pour être tout à fait aimable, il fit lancer quelques boulets (tout cela est raconté par l’officier lui-même); l’ennemi riposta, quelques hommes tombèrent, d’autres blessés – les dames étaient très contentes de la secousse nerveuse. L’officier avait un peu de remords – que les gens soient morts inutilement – mais bien peu.
Cela promettait… Et en effet le jeune homme à lui seul versa plus de sang humain que toutes les révolutions ensemble, consomma par les conscriptions plus d’hommes qu’il ne fallait d'écoliers pour Owen – pour régénérer le monde entier.
Iln’avait pas de système, il ne voulait pas de bien aux hommes et ne le feignait pas. Il ne voulait du bien que pour lui seul et par le mot de bien il ne comprenait que le pouvoir. Comparez à lui les deux nains – Babeuf et Owen… Son nom a suffi trente ans après sa mort – avait encore assez de prestige pour faire élire empereur un sien neveu.
Quel secret avait-il donc?
Babeuf voulait imposer le bien-être et décréter une république égalitaire.
R. Owen voulait éduquer l’homme – pour le rendre capable de s’organiser d’une manière intelligente.
Napoléon ne voulait ni l’un ni l’autre.
Il comprit très bien que sérieusement les Français ne désiraient ni le potage lacédémonien, ni les mœurs du temps des Brutus l’ancien, qu’ils sont loin à se contenter, pour tout plaisir – «de se réunir les jours de fête discuter les lois et enseigner les vertus aux enfants». – De l’autre côté il observa très bien qu’ils sont d’une humeur très belliqueuse. Au lieu de les empêcher à se ferrailler, ou leur prêcher les douceurs de la paix éternelle – Napoléon profita de cette manie – pour les lancer sur les autres peuples, allant à la chasse lui-même le premier. Il ne faut pas l’inculper de cela. Les Français seraient les mêmes sans lui – ils aiment avec passion le triomphe dans le sang, la victoire les grise. Cette sympathie entre Napoléon et la France explique l’amour par lequel elle l’entoura. Il n’était pas un reproche, un acte d’accusation – contre la masse – mais sa gloire splendide, il ne l’offensait point par sa pureté, ni par ses vertus, il ne présentait point en lui un idéal transfiguré devant ses yeux humiliés, il n’apparaissait pas comme un prophète fulminant, il n’enseignait rien, – il appartenait lui-même à la foule – et il lui montra elle-même, avec ses faiblesses et vices, avec ses passions et tendances – potentiés en un génie, couvert de gloire et de puissance. Voilà la cause de l’amour – touchant, tragique, ridicule que lui portait la masse, le peuple, même la bourgeoisie…
Et il n’est pas tombé parce que le peuple entrevit tout le vide de sa politique, qu’il était las de donner son dernier fils et de répandre pour lui des torrents de sang. Du tout. Il finit par ameuter contre lui d’autres masses qui s’armèrent avec acharnement pour la défense de leur propre tyran – la théologie chrétienne était satisfaite – de part et d’autre on se battait avec fureur – pour le salut de ses plus grands ennemis.
…On rencontre souvent à Londres une gravure qui représente la rencontre de Wellington avec Blücher – au moment où la victoire de Waterloo se prononçait pour eux – il m’est impossible de rencontrer cette gravure sans m’arrêter. Cette figure calme, toute anglaise, ne promettant rien de bon, d’un côté, et de l’autre – ce vieux lansquenet tedesque, borné, bonasse et féroce – se saluent mutuellement avec un plaisir qu’ils ne cachent point… Et comment ne pas être au septième ciel – ils détournèrent l’Europe du grand chemin dans une boue fangeuse – dans laquelle elle pataugera un demi-siècle… A peine le jour commence à poindre – l’Europe dort encore sans savoir que ses déstinées sont changées parce que Blücher vint à temps et Grouchy trop tard… Que de larmes, que de souffrances a coûté aux peuples cette victoire… et que de larmes et de sang leur aurait coûté la victoire de l’autre parti!
– Quel est donc enfin le résultat de tout cela?
– Qu’appelez vous résultat?.. – est-ce une sentence morale dans le genre de «Fais ce que dois – advienne ce qui pourra» ou une sentence profonde dans le genre «que de tout temps l’homme versait des larmes – et du sang». Comprendre – voilà le résultat, s'émanciper des représentations fausses – voilà la moralité.