Том 11. Былое и думы. Часть 6-8 - Александр Герцен
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La société, la majorité – a usurpé les droits d’un dictateur et d’un sbire. Le peuple lui-même s’est fait Nicolas et la rue Jérusalem. Les persécutions au Sud pour les opinions et paroles, – avec leur bannière chantée – «L’esclavage ou la mort!» ne cèdent en rien aux persécutions du roi de Naples ou de l’Autrichien.
C’est vrai qu’au Nord – «l’esclavage» n’est pas un dogme religieux. Mais que dire du niveau intellectuel et de la liberté de conscience d’une population d’arithméticiens – qui après avoir fermé leurs livres de compte – tournent les tables et font des conversations avec les rapping spirits?
Nous trouvons – avec moins de grossièreté – quelque chose de pareil en Angleterre, en Suède – c’est à dire dans les pays les plus libres de l’Europe. Pouvons-nous conclure de là – que moins le pays est opprimé par son gouvernement, plus il est opprimé par la masse, qu’à un gouvernement tolérant correspond une opinion publique persécutant comme l’inquisition? La famille, la paroisse, le club vous épient, vous empoisonnent la vie… Je n’en sais rien, mais le doute est possible. L’histoire paraît être ce jeu des aspirations sociales – vers l’indépendance de l’individu, de la raison – une aspiration qui semble se réaliser mais la réalisation desquelles – est complètement incompatible avec l’existence de l’Etat… Systole et diastole de la circulation humaine.
Nous confessons franchement de ne pas connaître la réponse à cette question… mais nous ne voulons non plus accepter une solution toute faite – derrière notre dos. Jusqu’à présent l’histoire la résout d’une manière, et quelques penseurs éminents, dans leur nombre notre R. Owen, – d’une autre. Owen a une foi inébranlable, cette foi des grands philosophes du XVIIIe siècle (qu’on a surnommé le siècle des incrédules!) que non seulement l’humanité parviendra un jour à une organisation rationnelle – mais que nous sommes à la veille d’exiger notre toge virile… Quant à cette dernière assertion, il nous semble que les tuteurs, pasteurs ménins et bonnes peuvent encore tranquillement dormir et manger aux frais de leurs pupilles. Tant que notre siècle dure – les hommes d’aucun pays ne demanderont pas les droits des majeurs – et se contenteront encore des petits jouets – et du col rabattu à l’enfant.
Il y a mille raisons à cela. Et d’abord pour qu’un homme puisse arriver au simple bon sens – il faut qu’il soit un géant; quelquefois même les forces les plus colossales ne peuvent suffir pour se frayer un passage à travers les morts et les spectres – de la tradition. Prenez un état social bien et carrément assis sur ses bases comme en Chine ou au Japon.
Du moment où l’enfant ouvre ses yeux avec un sourire – en regardant sa mère, – jusqu’au moment où il les referme, presque avec le même contentement – ayant fait sa paix avec Dieu et assuré un bon placement qu’on lui fera occuper pendant un petit somme qu’il fera – tout est disposé pour qu’il ne puisse voir clair, avoir une seule notion simple. Il suce avec le lait de sa mère je ne sais quelle belladone – qui lui tourne la tête – pas un sentiment ne reste intact, pas une passion qui ne soit détournée de sa voie naturelle. L’éducation de l’école continue en aggravant l’œuvre de l’éducation domestique – en généralisant, en justifiant théoriquement – les pratiques et règles de la maison, donnant une base scolastique à tous les mirages, en habituant les enfants de connaître sans comprendre et d’accepter les noms pour des définitions.
L’homme ahuri – continue à exister dans un monde d’illusions optiques, perd l’instinct de la vérité, le goût de la nature et doit certainement avoir une force énorme d’intelligence pour s’en apercevoir et peut-être encore plus de courage – pour sacrifier tout s’il le faut et sortir – déjà chancelant et ivre de la malaria qui l’entoure.
R. Owen aurait répondu à cela – que c’est nommément par ces considérations qu’il est venu à la conclusion – qu’il fallait commencer la régénération sociale – non par un phalanstère, non par Icarie – mais par l'école.
Il avait raison, et encore plus, il a prouvé pratiquement qu’il l’avait. Devant l’exemple de New Lanark – ses adversaires se taisent, le maudit New Lanark ne peut être digéré par les gens qui accusent le socialisme – de ne s’occuper que d’utopie – sans savoir réaliser le moindre détail. N. Lanark était là en chair et os pour répondre à tous ces Saint Thomas de l’économie politique – tout le monde y allait – ministres, ducs, fabricants, lords et même évèques. – Un sceptique, le docteur du duc de Kent n’y croit rien, le duc lui propose d’y aller et de voir de ses propres yeux – le docteur Mac-Neb y va et commence sa première lettre par ces mots: «Mon rapport à demain, je suis trop ému, de ce que j’ai vu – plus d’une fois je sentais des larmes dans mes yeux».
Sur cet aveu magnifique en faveur de N. Lanark – je m’arrête et je constate qu’Owen a donné une grande preuve à sa doctrine de l’éducation – par sa réalisation.
Comment donc cela se fit que N. Lanark, étant au sommet de son bien-être – au milieu de la plus énergique, de la plus ardente activité d’Owen – croula et se transforma en une école – un peu moins vulgaire, peut-être, que les autres – mais très vulgaire? Est-ce qu’Owen s’était ruiné? Est-ce qu’il y avait dissidence parmi les maîtres, mécontentement de parents, insubordination des enfants?.. Rien de pareil, au contraire, la fabrique allait parfaitement bien, les revenus s’augmentaient, les ouvriers quittaient complètement l’ivrognerie et le vol, l’école étonnait le monde. Quel malheur est donc tombé sur N. Lanark?
Un beau matin l’école de N. Lanark vit entrer deux sinistres figures habillées en noir, d’une gravité comique, dans des chapeaux très bas et des pardessus d’une coupe préméditativement laide. C’étaient deux braves et pieux quakers – copropriétaires de N. Lanark. Ils froncèrent les sourcils en voyant les figures charnellement gaies des enfants, ils devinrent sombres en les entendant chanter de la musique de ce monde et baissèrent leurs yeux – s’apercevant que les petits garçons n’avaient pas d’«inexpressibles»! – Bon Dieu!
Ces malheureux enfants ne ressentaient aucun remords de la première chute d’Adam – et les quakers secouèrent la tête avec tristesse…. Owen pour conjurer la première attaque répondit par un trait de génie – par le chiffre de l’accroissement du gain. Ce chiffre annuel était si grand qu’il arrêta pour un certain temps le zèle religieux des quakers. Mais dans quelque temps leur conscience se réveilla – et cette fois héros du devoir et résolus de ne pas céder, ils exigèrent l’abolition de la danse, du chant laïc, des manœuvres par groupes – pour cela ils permettaient aux enfants de se récréer en chantant les psaumes.
R. Owen quitta la direction de N. Lanark – et ne pouvait agir autrement.
Les saints commencèrent leur administration apostolique (comme nous le voyons dans la biographie d’Owen) – par augmenter les heures du travail dans les fabriques – mais aussi ils diminuèrent le salaire.
Voilà comment N. Lanark est tombé.
Il ne faut pas oublier que le succès entier d’Owen nous montre une chose de la première gravité et tout à fait méconnue – c’est que le pauvre prolétaire – privé de toute culture, habitué à l’état de guerre sourde – avec le propriétaire, ne s’oppose au fond aux innovations qu’au commencement, et cela par méfiance – dès qu’il comprend qu’il n’est non plus oublié dans le changement, – dès qu’il acquiert confiance, il se soumet avec docilité à un nouveau régime.
Le salut n’est pas de ce côté.
Geintz – valet de chambre littéraire assez famé du prince Metternich – assis un beau jour pendant un grand dîner à Francfort à côté d’Owen lui dit:
– Supposons que vous eussiez réussi – eh bien, quoi?
R. Owen, un peu surpris, lui répondit:
– Comment quoi? Mais c’est évident. Le bien-être des classes nécessiteuses se serait tellement accru, que chacun serait mieux nourri, mieux logé, mieux élevé…
– Mais… c’est précisément ce que nous ne voulons pas, – lui répondit le Ciceron du Congrès de Vienne. Celui-là avait au moins le mérite de la franchise…
…Du moment où les prêtres, boutiquiers et leurs consorts s’aperçurent que le but de N. Lanark n’était pas du tout une plaisanterie, lorsqu’ils en devinèrent la portée – la perte de N. Lanark était décidée d’une manière immuable.
Et voilà pourquoi la chute d’un petit hameau en Ecosse avec sa fabrique et son école – a pour nous le sens d’un grand malheur historique. Les ruines de N. Lanark remplissent l’âme de réflexions peut-être plus tristes, plus tragiques – que d’autres ruines ne réveillaient dans l’âme de Marius… Le réfugié Romain était assis sur le tombeau d’un vieillard qui a fait son temps… Nous le pensons assis près d’un berceau – nous regardons le cadavre d’un enfant… qui promettait beaucoup et qui s’est éteint par la faute et la concupiscence des tuteurs qui craignaient ses droits à l’héritage.
Chapitre IIINous avons vu que R. Owen doit être acquitté devant le tribunal de la logique, ses déductions sont non seulement d’une pialectique irréprochable – mais plus que cela – justifiées par la réalisation. Ce qui manquait à sa doctrine – c'est l'entendement des masses.
– Affaire de temps – il viendra un jour – elles comprendront.
– Qu’en savez-vous, peut-être oui – peut-être non!
– C’est impossible d’admettre que les hommes ne puissent jamais parvenir à bien entendre leur propre intérêt.
– Pourtant c’était ainsi de tout temps. C’est précisément à ce manque d’entendement que suppléait l’église et l’Etat. Et nous voilà dans un cercle logique – car d’un autre côté l’église et l’Etat – empêchent le développement intérieur. Owen s’imaginait qu’il suffisait de montrer aux hommes l’absurdité de quelque chose pour qu’ils s’empressent à la renier – mais il n’en est rien. L’absurdité de l’Etat et encore plus de l’église – est évidente, mais cela ne leur fait pas beaucoup plus de mal que la critique la plus raisonnée ne change les contours des montagnes et la direction des fleuves. Leur inébranlable stabilité – n’est pas basée sur l’intelligence – mais sur son défaut. L’histoire s’est crée – grâce aux absurdités les plus phantastiques. Les hommes cherchaient de tous temps la réalisation des rêves, de leur idéal – et chemin faisant réalisaient tout autre chose. Ils cherchaient l’аrс-en-ciel et le paradis sur la terre – et trouvaient des chants immortels, et créaient des statues éternelles, et bâtissaient Athène et Rome, Paris et Londres.
Un rêve cède à un autre – le sommeil est quelquefois très léger, mais jamais le réveil n’est entier. Les hommes acceptent tout, sacrifient beaucoup – mais reculent d’horreur, lorsque entre deux religions s’ouvre une fente par laquelle pénètre la lumière matinale et souffle la brise fraîche de la raison et de la critique.
Les hommes isolés qui se réveillent quelquefois et protestent contre les dormeurs – ne font qu’un acte de constatation qu’ils sont réveillés, et partant de ce qu’il est possible à l’homme de se développer jusqu’à l’entendement raisonné – mais ils ne réveillent personne, ou bien peu <de monde>. Si ce développement exceptionnel peut se généraliser ou non – c’est une question.L’induction prise du passé n’est guère favorable pour la solution positive. C’est possible que le futur ira tout autrement, de nouvelles forces se produisent, de nouveaux éléments peuvent entrer et changer (en bien ou en mal) le courant. La découverte de l’Amérique, les chemins de fer, le télégraphe – ont fait une révolution qui n’est pas moindre des révolutions géologiques. Tout cela est possible, mais nous ne pouvons dès aujourd’hui compter sur les choses que nous ne connaissons pas; admettant les meilleurs chances, nous pouvons pourtant être convaincus que cela ne sera pas de si tôt que l’homme arrivera par masses au bon sens.
Si l’on pense que la nature restait des milliers et des milliers <d’années> dans la léthargie minérale et se contentait d’autres milliers à nager comme poisson, à chanter comme oiseau, à errer dans les bois comme bête fauve – on peut arguer de là que le délire historique avec ses rêves phantastiques pourra suffir pour longtemps d’autant plus que ce délire continue largement la plasticité de la nature – épuisée dans les autres sphères.
Les hommes qui ont eu la chance d’ouvrir les yeux – sont impatients avec les dormeurs – sans prendre en considération que tout le milieu, qui les entoure, les endort et les empêche de se réveiller. La vie depuis le foyer de la famille et l’économie culinaire jusqu’aux foyers du patriotisme et l’économie politique – n’est qu’une série d’images optiques. Pas une notion simple et lucide pour voir clair dans ces brouillards, pas un sentiment naturel laissé intact, pas une question qui ne soit déracinée de son sol et placée sur un autre.
Prenez au hasard une feuille de journal – ouvrez la porte d’une maison – regardez ce qui se passe – et vous verrez quel Robert Owen peut y faire quelque chose. Les hommes souffrent avec résignation – pour des absurdités, meurent pour des absurdités, tuent les autres pour des absurdités. L’individu dans des soucis éternels, alarmé, nécessiteux, entouré d’un vacarme épouvantable, n’ayant pas un moment pour réfléchir – passe soucieux et inquiet sans même jouir. A-t-il un peu de repos – il se hâte de suite à tresser une toile d’araignée entière par laquelle il se prend soi-même et ce qu’il appelle le bonheur de famille s’il n’y trouve pas la faim et les travaux forcés à perpétuité – il invente peu à peu ces persécutions acharnées et sans fin – qui au nom de l’amour paternel ou conjugal – font haïr les liens les plus saints…