Том 11. Былое и думы. Часть 6-8 - Александр Герцен
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Les préoccupations et les soucis de chaque fourmi isolée ou de toute la fourmillière – ne se distinguent presque pas. Regardez ce que l’individu veut, ce qu’il fait, à quoi il parvient, quelles sont ses notions du bon et du mauvais, de l'honneur et de l'opprobre. Regardez à quoi il consacre ses derniers jours, à quoi il sacrifie ses meilleurs moments – ce qu’il prend pour «business» et ce qu’il prend hors d’œuvre – et vous verrez que vous êtes en plein chambre d’enfants, – où les chevaux ont des roues sous les pieds, où les poupées sont punies – avec autant de sérieux – par les enfants, qu’eux-mêmes sont punis par les bonnes… S’arrêter, réfléchir est impossible – vous ruinerez les affaires, on vous poussera, on vous débordera, tout le monde est trop compromis, trop avancé dans le courant, pour faire halte et pour quoi? – pour écouter une poignée d’hommes saus canons, sans argent, sans pouvoir – qui proteste au nom de la raison – sans même avoir des miracles pour prouver leur vérité.
Un Rotschild, un Montefiore s’empresse d’aller dans son bureau, il lui faut commencer la thésaurisation de la seconde centaine de millions – tout va bien et très vite, – on meurt en Brésil de la fièvre, en Italie de la guerre, l’Amérique se brise… l’Autriche a le miserere – et on lui parle de l’irresponsabilité de l’homme et d’une distribution des biens… Il n’écoute pas. C’est évident, pourquoi voulez-vous qu’il perde son temps?
…Un Mac-Mahon a travaillé des années à méditer un bon plan pour anéantir dans le temps le plus court, et à moindre frais – la plus grande quantité possible d’hommes habillés en uniforme blanche – par des hommes en pantalons rouges – il a parfaitement réussi, tout le monde en est touché, les Irlandais qui en qualité de papistes ont été battus par lui – lui envoient une épée… et voilà que des hommes prêchent que la guerre est non seulement une barbarie atroce et absurde – mais un crime… il ne les écoute pas – et regarde son épée d’Ile de l’Emeraude.
Je connaissais en Italie un vieux banquier – chef d’une grande maison. Ne pouvant dormir la nuit, je m’habillai et j’allai faire une longue promenade, en retournant vers cinq heures du matin – je passai devant sa maison. Il y avait grande activité – des ouvriers roulaient des barils d’huile et les rangeaient sur des charriots. Le vieillard en long pardessus était là, il notait dans un livre chaque baril. Le vent du matin était frais – le vieillard était transi de froid, les lèvres pâles et les mains tremblantes:
– Vous êtes bien matinal? – lui dis-je.
– Il y a plus d’une heure que je suis là.
– Vous souffrez du froid – comme si vous étiez en Russie?
– Que voulez-vous, la vieillesse, les forces commencent à m’abandonner. Vos amis (il parlait de ses fils) – dorment encore… puisque le vieux père est encore là pour travailler. Je ne m’en plains pas… j’aime le travail… j’appartiens à une autre génération… j’ai beaucoup vu, j’ai vu quatre révolutions – et je restai à ma place, et pas un baril d’huile est sorti – sans que je l’aie noté. Une fois fini avec l’huile je m’en vais au bureau – est là que je prends aussi mon café.
– Vous ne vous gâtez pas!
– L’habitude, cher monsieur, et s’il faut dire toute la vérité, lorsque je n'ai rien à faire, je m'ennuie, je deviens triste.
«Le vieillard, – pensai-je en m’éloignant, – mourra demain ou après-demain, – qui donc fera le contrôle de l’huile?.. ou peut-être alors son fils aîné se sentira aussi „d’une autre generation”, se lèvera à quatre heures du matin et continuera cela un demi-siècle – et de père en fils, de frère en frère – la fortune ira croissante tant qu’elle n’arrive à un des dynastes (très probablement le meilleur de tous) qui aimera d’autres distractions que de noter les barils… et toute cette richesse passera par une maison de jeu ou par le boudoir d’une lorette, et les braves gens diront… en secouant la tête: „Si on pense quels parents – et un tel fils – enfant prodigue… quels temps, quelles mœurs… Les vieillards se refusaient tout à eux-mêmes (aux autres aussi) – pour lui laisser des monceaux d’or – et ce misérable – il les a donnés à cette… vous savez… a cette Colombine”.
Allez donc par la logique seulement voir – toucher les chairs à travers cette croûte – par la seule logique.
R. Owen en leur prêchant un autre emploi des forces et d’autres buts – ne pouvait convaincre les mauvais mécaniciens, mais les effaroucha. Ce n’est que l’intelligence qui est tolérante et pleine de condescendance, de douceur.
Nous avons vu qu’Owen s’étant heurté contre le mur de l’église – l’escalada – mais de l’autre côté il se vit tout seul, personne ne le suivit, et les pieux lui jetaient des pierres…
A la longue il se serait de la même manière cassé le cou – en se heurtant à l'autre seuil, il serait resté seul et conspué – aussi au delà de l’autre valve de la coquille.
La foule ne s’acharna pas dès le commencement contre lui – pour son hérésie juridique de l’irresponsabilité parce que l’Etat et le tribunal ne sont pas populaires comme l’église. Mais pour le code criminel, se seraient levés à la longue des gens autrement ferrés que quelques théofous de quakers ou des rhéteurs piétistes.
Un homme qui s’estime n’ira pas sérieusement discuter des vérités de catéchisme, sachant bien qu’elles ne peuvent supporter la moindre critique. Qui donc entreprendra la justification raisonnée de l’immaculée conception ou de l’identité des recherches géologiques de Moïse et de Murchison.
Bien loin de là – l'église laïque – du droit – a une base autrement puissante. Leurs dogmes de foi sont acceptés – comme des vérités prouvées, absolues, comme des axiomes irrécusables.
Les hommes qui ont eu l’audace de renverser les autels – n’osèrent jamais toucher le tribunal. Anacharsis Cloots et ses amis qui osèrent appeler à haute voix Dieu par son nom – Raison,n’étaient pas moins convaincus de la toute-puissance du «Salus populi» et des autres commandements criminels et civils que ne l’étaient les prêtres du moyen âge dans la vérité du droit canonique et dans la justice de brûler les sorciers.
Naguère encore un des hommes les plus puissants de notre siècle, un des penseurs les plus courageux – pour porter le coup de grâce à l’église – la sécularisa – et en fit un tribunal. – Arrachant l’Isaac qu’on allait immoler à Dieu des mains d’un prêtre, <il> le livra au tribunal et le sacrifia à la justice humaine.
La dispute sécularie – sur le libre arbitre et la prédestination – n’est pas terminée. Owen n’était ni le premier, ni le seul de nos temps à en douter de la responsabilité de l’homme. Vous trouverez ce doute chez Bentham et chez les fouriéristes, chez Kant et chez Schopenhauer, chez les médecins et les physiologues – et ce qui est plus fort que tout cela – vous trouverez plus que du scepticisme dans les chiffres de la statistique criminelle. Dans tous les cas la question n'est pas résolue – mais tout le monde est d’accord qu'il est juste de punir un criminel et cela en proportion de son crime. – Chacun est d’accord sur cela.
De quel côté est donc le lunatic asylum?
«La peine c’est le droit inaliénable du criminel!» – a dit lui-même, le divin Platon.
C’est dommage qu’il a fait lui-même ce calembour – et enfin si c’est le droit du criminel – laissez-lui la faculté de le réclamer – moi je suis de l’avis qu’on peut faire donner des coups de bâton à un homme qui en exige lui-même.
Bentham définit le criminel – mauvais calculateur… lorsqu’on fait une faute de calcul on en subit les conséquences – mais ce n’est pas un droit. Spinosa convient qu’on est quelquefois dans la nécessité de tuer un homme malfaisant – comme on tue un chien enragé. Les penseurs ne sont peut-être pas assez divins – mais ils sont plus humains que Platon.
La différence de ces deux points de vue est immense… et les juristes répudient avec connaissance de cause l’opinion que le châtiment n’est rien qu’une défense vindicative de la société. Dans la guerre on est beaucoup plus franc – pour tuer un ennemi on ne cherche pas de prouver qu’il a mérité la mort, on ne dit pas même que cela soit juste – on terrasse un adversaire, et voilà tout.
– Mais avec des notions pareilles il faudra fermer le Palais de Justice.
– Une fois on a déjà changé les basiliques en églises; si on les change en écoles maintenant – les portes pourraient rester encore plus ouvertes.
– Mais avec de pareilles notions – il n’y a pas de gouvernement qui pourrait se tenir.
– A cela Owen aurait la faculté <de répondre> à la manière du premier frère historique: «Qui donc m’a chargé de la conservation du gouvernement?»
– Il n’en parle pas des gouvernements – c’est vrai. Sous ce rapport c’est un grand diplomate – il était ami avec tous les gouvernements et tous les gouvernants… avec la reine, le président de Washington, les torys et le tzar.
– Est-ce qu’Owen était moins bien avec les catholiques qu’il n’a été avec les protestants et autres sectaires?
– Pensez-vous qu’il ait été républicain?
– Je pense qu’il préfère la forme du gouvernement la plus adéquate, la plus correspondante à son église.
– Quelle église – il n'en a pas.
– Eh bien?
– C’est pourtant impossible pour un Etat de ne pas avoir un gouvernement quelconque.
– Sans doute… même un très mauvais. Hégel raconte qu’une pauvre vieille femme disait – à ceux qui se plaignaient du mauvais temps: «Mais c’est toujours mieux d’avoir un mauvais temps, que de n’en avoir pas du tout».
– Amusez-vous autant que vous voulez – mais l'Etat périra avec le gouvernement.
– Et que cela me fait?
Chapitre IVL’histoire de la révolution nous présente un essai d’un changement radical des bases de la société actuelle – par la voie gouvernementale et avec la conservation d’un pouvoir fort.
Les décrets du gouvernement qui allait se former – nous sont restés, avec leur préambule –
Egalité Liberté
Bonheur commun
et quelquefois avec l’alternative – ou la Mort!..
Ces décrets comme il fallait s’attendre commencent par le décret de police.
Art. 1. Les individus qui ne font rien pour la patrie ne peuvent exercer aucun droit politique, ce sont des étrangers auxquels la république accorde l’hospitalité.
Art. 2. Ne font rien pour la patrie ceux qui ne la servent pas par un travail utile.
Art. 3. La loi considère comme travaux utiles ceux de l’agriculture, de la vie pastorale, de la pêche et de la navigation,
Ceux des arts mécaniques et manuels;
Ceux de la vente en détail;
Ceux du transport des hommes et des choses;
Ceux de la guerre;
Ceux de l’enseignement et des sciences.
Art. 4. Néanmoins les travaux de l’enseignement et des sciences ne seront pas réputés utiles, si ceux qui les exercent ne rapportent pas dans le délai de… un certificat de civisme, délivré dans les formes qui seront réglées.
Art. 6. L’entrée des assemblées publiques est interdite aux étrangers.
Art. 7. Les étrangers sont sous la surveillance directe de l’administration suprême, qui peut les reléguer hors de leur domicile ordinaire et les envoyer dans les lieux de correction.
Dans le décret du travail – tout est réglementé, distribué, la loi définit à quel genre de travail, dans quelle saison – il faut s’occuper, combien d’heures il faut travailler. Des magistrats donneront l’exemple du zèle et de l’activité, l’administration municipale a constamment sous les yeux l’état des travaillants de chaque classe – elle instruit régulièrement l’administration suprême… elle déplace les travaillants d’une commune à une autre…
Art. 11. L’administration suprême astreint à des travaux forcés les individus dont l’incivisme, l’oisiveté, le luxe et les dérèglements donnent à la société des exemples pernicieux. Leurs biens sont acquis à la communauté nationale.
Art. 14. Les magistrats… veillent à la propagation et amélioration des animaux propres à la nourriture, à l’habillement, au transport et au soulagement des travaux des hommes.
Dans le décret de la distribution et de l’usage des biens de la communauté:
Art. 1. Nul membre de la communauté ne peut jouir que de ce que la loi lui donne par la tradition réelle du magistrat.
Art. 2. La communauté nationale assure à chacun de ses membres:
Un logement sain – proprement meublé.
Des habillements de travail et de repos.
Le blanchissage, l’éclairage et le chauffage.
Une quantité suffisante d’aliments en pain, viande, volaille, poisson, œufs, beurre… et autres objets dont la réunion constitue une médiocre et frugale aisance.
Art. 3. Il y aura dans chaque commune des repas communs auxquels tous les membres seront tenus d’assister.