Категории
Самые читаемые

Lécluse n°1 - Simenon

Читать онлайн Lécluse n°1 - Simenon

Шрифт:

-
+

Интервал:

-
+

Закладка:

Сделать
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 ... 15
Перейти на страницу:

— Je ne m’étais pas trompé. Vous êtes comme moi.

Cela ne voulait-il pas dire que le commissaire, lui aussi, était de la trempe de ceux qui se lèvent tôt pour organiser le travail des autres ?

— Vous permettez un instant ?

Il était si large qu’il paraissait presque carré. Il est vrai qu’il devait porter un pansement autour du torse. Pourtant il était vif, et Maigret le vit sauter du mur de l’écluse sur le pont d’une péniche qui se trouvait à plus d’un mètre, en contrebas.

— Bonjour, Maurice. Tu as rencontré l’Aigle-IV au-dessus de Chalifert ? Ont-ils reçu les joints ?

Il n’écoutait guère. Dès qu’on lui avait répondu le nécessaire, il remerciait d’un grognement et s’adressait ailleurs.

— À propos de l’accident sous la voûte de Revin ?

Assise sur le pont de laToison-d’Or, près du gouvernail, Aline était occupée à moudre du café en regardant mollement devant elle. À peine Maigret l’avait-il aperçue que Ducrau était devant lui, une courte pipe aux dents.

— Vous commencez à y comprendre quelque chose ?

Son mouvement du menton précisait qu’il parlait du mouvement du port et de l’écluse, et non de l’attentat. Il était beaucoup plus allègre que la veille, avec moins d’arrière-pensées.

— Vous voyez, l’eau forme une patte d’oie qui finit à la Seine. Ici, c’est le canal de la Marne. Plus loin, la Marne elle-même qui, à cet endroit, n’est pas naviguée. Enfin la haute Seine. Par la haute Seine, on gagne la Bourgogne, la Loire, Lyon, Marseille. Le Havre et Rouen commandent la basse Seine. Deux sociétés se partagent le trafic : la Générale et la Compagnie des Canaux du Centre. Mais, à partir de cette écluse et jusqu’en Belgique, en Hollande, en Sarre, c’est Ducrau !

Il avait les yeux bleus, le teint clair dans le soleil levant qui rosissait le paysage.

— Le pâté de maisons, autour de la mienne, c’est à moi, y compris le bistrot, les pavillons et le petit bal ! Les trois grues là-bas et le concasseur aussi ! Et les chantiers de réparations qui sont au-delà de la passerelle.

Il buvait, il respirait sa joie.

— On dit que le tout représente quarante millions, remarqua Maigret.

— Vous n’êtes pas trop mal renseigné, à cinq millions près. Vos inspecteurs ont appris quelque chose, hier ?

De cette phrase-là aussi, il était ravi. En effet, Maigret avait chargé trois inspecteurs de prendre de menus renseignements, tant à Charenton qu’ailleurs, sur Ducrau, sur sa famille et sur chaque personne mêlée au drame.

Le butin était maigre. À la maison de tolérance de Charenton, on avait confirmé la présence de l’armateur le soir de l’attentat. Il y allait souvent. Il payait à boire, taquinait les femmes, racontait des histoires et s’en allait souvent sans en demander davantage.

De son fils Jean, les habitants du quartier ne savaient presque rien. Il étudiait. Il sortait peu. Il avait l’air d’un jeune homme de bonne famille et était d’une santé délicate.

— À propos, dit Maigret en désignant la Toison-d’Or, c’est sur cette péniche, je crois, que votre fils a fait l’an dernier un séjour de trois mois ?

Ducrau ne tressaillit pas, mais peut-être devint-il un peu plus grave.

— Oui.

— Il relevait de maladie ?

— Il était surmené. Le docteur recommandait le calme et le grand air. La Toison-d’Or partait pour l’Alsace.

Aline, avec son moulin à café, rentrait dans la cabine, et Ducrau s’éloigna un instant pour donner des ordres au mécanicien de la grue sans que Maigret cessât d’entendre ce qu’ils disaient.

Sur la fille et le beau-fils, des informations banales. Le capitaine Decharme était le fils d’un comptable du Mans. Le couple habitait une jolie maison neuve dans la banlieue de Versailles, et chaque matin un planton amenait le cheval de l’officier, un autre faisait le ménage.

— Vous rentrez à Paris ? questionna Ducrau en revenant. Si le cœur vous en dit, c’est ma promenade de tous les matins, le long des quais.

Il jeta un coup d’œil à sa maison. Les fenêtres à tabatière du sixième étage n’étaient pas encore ouvertes, ni les rideaux tirés. Les tramways étaient pleins, et des petites charrettes chargées de légumes accouraient de Paris pour le marché.

— Je compte sur toi ? cria Ducrau à l’éclusier.

— Entendu, patron !

Et l’armateur adressa un clin d’œil à Maigret, pour souligner ce nom de patron qui lui était donné par un fonctionnaire.

Maintenant, ils déambulaient tous les deux le long de la Seine, où des trains de bateaux se formaient, viraient de bord sur toute la largeur du fleuve, gravitaient à grands coups d’hélice vers l’amont ou vers l’aval.

— Savez-vous ce qui a fait ma fortune ? C’est l’idée que, quand mes remorqueurs étaient en chômage, ils pouvaient travailler pour moi. Alors j’ai acheté des carrières de sable et de craie, là-haut, puis tout ce qui se présentait, même des briqueteries, du moment que ce fût au bord de l’eau !

Il serra au passage la main d’un marinier qui se contenta de murmurer :

— Bonjour, Mimile.

Des barriques encombraient le port de Bercy, et on apercevait les grilles de la ville du vin.

— Tout ce qui est champagne, là-dedans, c’est moi qui l’amène. Dis donc, Pierrot, c’est vrai que le chaudron de Murier a accroché une pile de pont à Château-Thierry ?

— C’est vrai, patron.

— Si tu le vois, dis-lui que c’est bien fait pour lui !

Il poursuivit sa route en riant. De l’autre côté du fleuve se profilaient, rectilignes, les immenses bâtiments en béton des Magasins généraux, et deux cargos, l’un de Londres, l’autre d’Amsterdam, apportaient en plein Paris une note maritime.

— Sans indiscrétion, comment allez-vous vous y prendre pour continuer votre enquête ?

Ce fut au tour de Maigret de sourire, car la balade n’avait sans doute pas d’autre but que d’amener cette question. Ducrau le comprit. Il sentit que son compagnon lisait sa pensée et il eut à son tour un léger sourire, comme pour se moquer de sa propre naïveté.

— Vous voyez, comme ceci ! répliqua le commissaire en accentuant son allure de promeneur béat.

Ils firent peut-être quatre cents mètres en silence, les yeux fixés sur le pont d’Austerlitz qui dressait ses ferrailles dans un véritable feu d’artifice où l’on devinait, noyée de bleu et de rose, l’architecture de Notre-Dame.

— Dis donc, Vachet ! Ton frère est en panne à Larzicourt. Il te fait dire que le baptême est remis.

Et Ducrau continuait sa route à pas réguliers. Après un regard oblique à Maigret, il questionna avec la brutalité d’un homme qui met exprès les pieds dans le plat :

— Qu’est-ce que ça gagne, un homme comme vous ?

— Pas grand-chose.

— Soixante mille ?

— Beaucoup moins.

Ducrau fronça les sourcils, regarda à nouveau son compagnon et, cette fois, avec autant d’admiration que de curiosité.

— Que pensez-vous de ma femme ? Est-ce que vous trouvez que je la rends malheureuse ?

— Ma foi, non ! Vous ou un autre ! C’est une de ces créatures qui sont toujours effacées et tristes, quel que soit leur sort.

Maigret eût pu marquer un point, car Ducrau en restait ahuri.

— Elle est morne, bête et vulgaire, soupira-t-il. Comme sa mère que je loge dans une des petites maisons voisines et qui a passé sa vie à pleurer ! Tenez, voilà encore un concasseur qui m’appartient et qui est le plus puissant du port de Paris… En somme, quelle piste suivez-vous ?

— Toutes.

Ils marchaient toujours dans la rumeur du fleuve et de ses berges. L’air du matin sentait l’eau et le goudron. Parfois ils devaient contourner une grue, ou attendre que le passage soit libre entre deux camions.

— Vous êtes allé à bord de laToison-d’Or ?

Ducrau avait hésité beaucoup plus longtemps que pour les autres questions, et il feignit aussitôt d’être très préoccupé par la manœuvre d’un train de bateaux. La question, au surplus, était inutile puisque, de sa fenêtre, il avait vu Maigret monter sur la péniche. Aussi le commissaire se contenta-t-il de répondre :

— C’est une étrange petite maman.

L’effet produit fut étonnant. Ducrau s’était arrêté net et, les jambes courtes, la nuque gonflée, il avait l’air d’un bœuf qui va foncer.

— Qui vous a dit cela ?

— Il n’était pas utile qu’on me le dise.

— Et alors ? dit-il pour dire quelque chose, les sourcils froncés, les mains derrière le dos.

— Alors rien.

— Que vous a-t-elle raconté ?

— Que vous aviez voulu lui rendre visite.

— C’est tout ?

— Qu’elle a refusé de vous ouvrir. Est-ce que vous ne m’aviez pas affirmé que le vieux Gassin était votre bon camarade ? Il me semble cependant, Ducrau…

Mais celui-ci grommelait avec impatience :

— Imbécile ! Et si je ne vous arrêtais pas, vous receviez cette barrique dans les jambes…

Tourné vers l’homme d’équipe qui roulait les tonneaux, il hurla :

— Tu ne peux pas faire attention, idiot ?

En même temps il vidait sa pipe, dont il frappait le fourneau sur son talon.

— Je parie que vous vous êtes mis dans la tête que l’enfant est de moi… Avouez-le ! Du moment que j’ai la réputation d’un trousseur de filles ! Eh bien ! commissaire, cette fois-ci vous vous trompez.

Il disait cela assez mollement, car il s’était opéré en lui un changement sensible. On le sentait moins dur, moins sûr de lui. Il avait perdu cet orgueil du propriétaire qui fait visiter son fief.

— Vous avez un gosse ? questionna-t-il avec ce regard en coin que Maigret commençait à connaître.

— Je n’ai eu qu’une petite fille, qui est morte.

— Moi, j’en ai ! Un instant ! Je ne vous demande même pas de me promettre le silence car, si vous aviez le malheur de dire un mot, je vous casserais la gueule. J’ai d’abord les deux que vous connaissez, la fille qui est aussi lamentable que sa mère, puis le garçon. Pour lui, je ne sais pas encore, mais je ne le vois pas devenir quelque chose. Vous l’avez rencontré ? Non ? Gentil, timide, bien élevé, affectueux et mal portant ! Voilà ! Seulement, j’ai une autre fille. Vous avez parlé tout à l’heure de Gassin. C’est un bon type. N’empêche qu’il a eu une femme étonnante et que j’ai couché avec elle. Il n’en sait rien. S’il l’apprenait, il serait capable de tout, car il ne vient pas une seule fois à Paris sans aller porter des fleurs au cimetière. Après seize ans !

Ils avaient franchi le pont de la Tournelle et pénétraient dans l’île Saint-Louis toute baignée de paix provinciale. Un homme en casquette de marinier sortit d’un café à leur passage, courut après Ducrau. Maigret resta à l’écart tandis qu’ils échangeaient quelques phrases, et pendant ce temps il ne cessa d’avoir sur la rétine l’image d’une Aline plus irréelle que jamais.

Tout à l’heure, déjà, il avait évoqué la Toison-d’Or glissant sur les canaux luisants, la fille blonde à la barre, le vieux derrière ses chevaux et, sur le pont, étendu dans un hamac, ou à même le bois brûlant et résineux, un convalescent trop studieux.

— Entendu pour dimanche en huit, cria la voix de Ducrau derrière lui.

Et il ajouta pour Maigret :

— Une petite fête qu’on organise à Nogent pour un de mes hommes qui a trente ans de service sur le même bateau.

Il avait chaud. Ils marchaient depuis plus d’une heure. Des vendeurs levaient les volets des boutiques, et des dactylos en retard couraient sur les trottoirs.

Ducrau ne disait plus rien. Il attendait peut-être que Maigret reprît la conversation où ils l’avaient laissée, mais le commissaire paraissait rêver.

— Je vous demande pardon de vous emmener si loin. Vous connaissez le Tabac Henri-IV, au milieu du Pont-Neuf ? Ce n’est pas loin de la Police judiciaire. Je parie pourtant que vous ne vous êtes jamais aperçu que ce n’est pas un café comme un autre. Nous nous y retrouvons tous les jours à cinq ou six, parfois plus. C’est une sorte de bourse des affréteurs.

— Aline a toujours été folle ?

— Elle n’est pas folle. Ou vous l’avez mal vue, ou vous n’y connaissez rien. C’est plutôt une sorte de retard dans la formation. Oui, le médecin me l’a très bien expliqué. À dix-neuf ans, elle a, si vous voulez, une mentalité de fillette de dix ans. Mais elle peut rattraper le temps perdu. On l’a même espéré à l’occasion de… ses couches…

Il avait prononcé le mot très bas, honteusement.

— Elle sait que vous êtes son père ?

Il sursauta, tout rouge.

— Surtout, ne lui dites jamais ça ! D’abord elle ne le croirait pas. Ensuite, il ne faut à aucun prix, vous entendez, à aucun prix, que Gassin s’en doute !

À cette heure, s’il était aussi matinal que la veille, le vieux marinier devait déjà être ivre, dans l’un ou l’autre des bistrots.

— Vous croyez qu’il n’a pas de soupçons ?

— J’en suis sûr.

— Et personne…

— Personne n’a jamais rien su, que moi.

— C’est pour cela que laToison-d’Or reste plus longtemps en chargement ou en déchargement que les autres bateaux ?

C’était si évident que Ducrau haussa les épaules puis, changeant de ton et de visage :

— Un cigare ? Ne parlons plus de ça, voulez-vous ?

— Et si c’était à la base du drame ?

— C’est faux !

Il était catégorique, presque menaçant.

— Entrez avec moi. Je n’en ai que pour deux minutes.

Ils avaient atteint le Tabac Henri-IV où les clients accoudés au comptoir de zinc étaient de simples mariniers. Mais il y avait une autre pièce séparée par une cloison, et là Ducrau serra la main de quelques consommateurs, sans leur présenter Maigret.

— C’est vrai que quelqu’un a accepté les charbons de Charleroi à cinquante-deux francs ?

— Un Belge, qui a trois moteurs.

— Garçon ! Une fillette de blanc. Vous prendrez du blanc ?

Maigret acquiesça et fuma sa pipe en regardant les allées et venues sur le Pont-Neuf et en n’écoutant que d’une oreille distraite la conversation qui se poursuivait.

Il fut quelque temps à s’apercevoir qu’il y avait dans l’air une rumeur anormale, et plus longtemps encore à se rendre compte que c’était la sirène d’un bateau. Elle ne lançait pas deux ou trois appels comme c’est l’habitude au passage des ponts, mais elle émettait un son si prolongé que des passants s’arrêtaient, aussi étonnés que le commissaire.

Le patron du tabac, le premier, leva la tête. Deux mariniers le suivirent jusqu’au seuil où Maigret s’était campé.

Une péniche à moteur diesel, qui descendait le courant, ralentissait en vue des arches du Pont-Neuf, battait même en arrière pour casser son erre. La sirène marchait toujours et, tandis que la femme prenait la barre, un homme sautait dans le canot qu’il poussait vers la rive en godillant.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 ... 15
Перейти на страницу:
На этой странице вы можете бесплатно скачать Lécluse n°1 - Simenon торрент бесплатно.
Комментарии
Открыть боковую панель
Комментарии
Сергій
Сергій 25.01.2024 - 17:17
"Убийство миссис Спэнлоу" от Агаты Кристи – это великолепный детектив, который завораживает с первой страницы и держит в напряжении до последнего момента. Кристи, как всегда, мастерски строит